Violences urbaines : un triple apartheid !

Les expressions les plus dures ont été utilisées pour stigmatiser les jeunes qui, nuit après nuit, s’en prennent tant aux voitures qu’aux équipements publics qui leurs sont pourtant destinés. Les traiter de « voyous », « de racailles », « de criminels » comme le fait régulièrement et avec constance M. Sarkozy n’aide en rien à la compréhension de la situation et, bien au contraire, tend à faire croire qu’il s’agit seulement de délinquants contre lesquels la solution repose quasi-exclusivement sur la répression.

L’entêtement de M. Sarkozy ne doit rien à une quelconque cécité ou méconnaissance de la réalité. Il est la conséquence directe de choix faits sciemment et assumés. En supprimant les emplois jeunes, les postes supplémentaires d’enseignants liés aux ZEP, en diminuant les subventions aux associations de prévention, en réorganisant la police sur la base du tout répressif, en réduisant de façon considérable les aides aux logements sociaux, aux transports en commun, etc, on montre évidemment que l’on a fait le choix d’abandonner les quartiers en difficultés.

Croire que celles et ceux qui y vivent ne le voient pas, ne comprennent pas qu’il s’agit de choix, prouve le mépris à leur encontre.

Ces quartiers en périphérie des villes mais aussi parfois à proximité des centres, ne vont pas mal en soi. Ce sont celles et ceux qui y résident qui vont mal, qui souffrent, victimes d’un triple apartheid.

Il y a tout d’abord un premier apartheid qu’il faut bien qualifier de social. Au plan économique le chômage persistant et les manipulations pour faire croire à sa diminution ont aggravé la situation. L’ascenseur social ne fonctionne plus et si les parents de ces jeunes révoltés ont pu améliorer quelques fois leur situation par rapport à la génération précédente, aujourd’hui c’est l’inverse. Les parents voient leurs enfants vivre plus difficilement qu’eux et le phénomène s’aggrave : suppression des emplois aidés et des emplois de proximité, recours massifs aux délocalisations, fermeture des services publics, etc… Jeunes issus de l’immigration, ils sont encore plus durement touchés que les autres. La purification sociale des villes centres pendant des années de refus de création de logements sociaux renforce ce sentiment de relégation vers les banlieues ou quartiers dans lesquels les investissements ont été négligés. Les élus de proximité n’y peuvent mais, tant les finances locales sont exsangues, faute de foyers fiscaux solvables et de taxe professionnelle.

Le deuxième apartheid est ethnique. Tant qu’il s’agissait d’admettre l’arrivée d’étrangers blancs, la France était plutôt tolérante et le racisme plus larvé qu’aujourd’hui. Notre passé colonial non assumé, la couleur de la peau de ces étrangers, la crainte d’une islamisation plus virtuelle que réelle (les imams démontrant de quel poids réel ils pèsent lorsqu’ils appellent au calme…) sont à l’origine de fantasmes qui alimentent le racisme au quotidien. Quelles auraient été les réactions si une grenade (même tirée par erreur par les forces de l’ordre) avait atteint une église ou une synagogue pendant une cérémonie religieuse ? Comment admettre les dérapages de certains policiers lorsqu’ils ont affaire à des personnes d’origine maghrébine ou à la peau noire ? La mixité sociale et ethnique disparaît chaque jour un peu plus dans ces cités. Le refus persistant de la droite et du PS d’accorder le droit de vote aux immigrés malgré un vote favorable de l’Assemblée nationale à la proposition de loi déposée par les Verts, illustre le peu de considération apportée à ces personnes. Quant à l’accès à l’emploi ou aux loisirs (boîtes de nuit notamment) les témoignages de discrimination sont chaque jour plus nombreux.

Au-delà des discriminations sociales et ethniques on assiste aussi à un apartheid territorial. La politique menée pendant des années a consisté à vider les centres villes des populations les plus fragiles au plan économique. Les pauvres ont été priés de laisser la place aux classes moyennes, elles-mêmes victimes aujourd’hui à leur tour de la spéculation immobilière. Jamais une ville comme Paris n’avait connu autant de résidences secondaires ou de logements vacants. Jamais la proche banlieue n’avait connu une flambée de l’immobilier qui produit les mêmes effets d’éviction des plus pauvres. Et comme cela n’est pas suffisant on chasse même certains pauvres de chez eux en démolissant leurs tours ou leurs barres, effaçant au passage toute mémoire d’une vie. Toujours plus loin, sans transports en commun dignes de ce nom, sans équipement ni service public voilà ce qui est réellement proposé comme politique de la Ville. Pendant ce temps des communes courent après les opérations de prestige, qui pour une fondation, qui pour un « geste architectural de grande ampleur », pour le seul plaisir de faire partie du club des villes « bon chic bon genre » sans logements sociaux. Le grand projet « Banlieues 89 » a été progressivement abandonné enterrant en même temps toute capacité de maintien ou de développement de la mixité sociale partout.

En 1995 M. Chirac parlait de « fracture sociale » puis en 2003 de « fracture urbaine, ethnique et parfois religieuse ». Une fracture est le produit d’un accident et non d’une volonté. Or c’est bien le résultat d’années d’abandon de ces populations et de leur cadre de vie qui produit la situation actuelle. Une politique organisée et planifiée de ségrégation s’appelle une politique d’apartheid et il faut avoir le courage de le dire.

Il faudra des années pour réparer les erreurs commises. Cependant des mesures d’urgence peuvent aider à amorcer un renversement de tendance. Ces mesures doivent être lisibles à l’aune de ces trois apartheids : mesures sociales, mesures ethniques et mesures territoriales. Elles doivent être conçues globalement et non de façon segmentée.

La première urgence consiste à en finir avec le diktat du moins disant fiscal et à financer un plan de solidarité en revenant sur les mesures d’allègement fiscal pour les plus riches. Dégager plusieurs milliards est possible, c’est une question de volonté. Devant les inégalités des ressources des communes, il faut instaurer par la loi le principe de la taxe professionnelle unique au niveau régional et sa redistribution au plan local selon le critère de population. La création massive d’emplois aidés et élargissement des conditions d’accès à la fonction publique territoriale sans condition de nationalité sont à mettre en œuvre rapidement. L’arrêt des privatisations et la restauration de véritables services publics de proximité sont indispensables.

Le droit de vote pour toutes et tous ne peut plus rester à l’état de revendication et la loi votée par l’Assemblée nationale doit être soumise au Sénat dans les meilleurs délais avec un engagement de responsabilité du Gouvernement. Lorsqu’un ministre commet une faute, il est normal qu’il la paie. M. Gaymard a été contraint de démissionner pour n’avoir pas respecté ce qui apparaissait comme normal. M. Mattéi a été sanctionné de fait. M. Sarkozy ne saurait rester à son poste sans que cela n’apparaisse comme un signe de mépris supplémentaire. L’application de l’état d’urgence est indigne de la France. Nous ne sommes pas en guerre et rien ne peut justifier d’assimiler des jeunes à des terroristes. Il faut au contraire organiser des états généraux des quartiers en difficulté en mettant au cœur du projet l’écoute de la souffrance.

Retisser les liens sociaux passent aussi par l’approfondissement de la loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain (SRU). Aller plus loin avec plus de moyens et en allégeant les procédures pour gagner du temps, voilà la priorité pour qu’il fasse bon vivre partout. Développer des transports en commun dignes de ce nom, désenclaver les quartiers, repenser les formes urbaines, rien n’est impossible si on en a la volonté. Face à la crise du logement, il convient de bloquer les loyers tant que cette crise n’aura pas trouvé de solution durable. L’accélération des procédures pour préempter les logements ou immeubles vides est indispensable. L’Etat doit céder à l’euro symbolique ses terrains au profit des collectivités locales. Les communes qui refusent d’appliquer la loi SRU ne doivent
plus recevoir la dotation de l’Etat. Les égoïsmes ne sont plus de mise.

Les violences urbaines sont l’expression la plus désespérée, la plus dramatique de jeunes qui ne croient plus en la société. Les avertissements du 21 avril 2002, les votes successifs pour les régionales, les européennes et même le référendum sur le Traité constitutionnel européen, montraient chacun à sa manière les refus de politiques hors sol et le peu de confiance accordée à la plupart des grands partis traditionnels.

Mettre au cœur des politiques publiques la suppression de ce triple apartheid, voilà le grand défi à relever.

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