En début d’année il est d’usage d’adresser ses voeux. Cette année, plutôt que d’envoyer les traditionnelles cartes (sur papier ou électroniques) j’ai choisi d’envoyer un mail à touTEs les éluEs au Conseil de Paris pour les inviter à ne pas prendre pour argent comptant les déclarations du PS sur la question des tours.
Voici mes voeux :
Chères collègues, chers collègues,
Lors de la séance du Conseil de Paris du mois de décembre dernier, nous sommes intervenus, René Dutrey et moi pour les élueEs du groupe les Verts à propos du projet de construction de la « tour » Triangle dans le 15ème arrondissement.
Nous avons eu à cœur de souligner les nombreuses omissions et contre-vérités avancées à ce sujet mais l’organisation des débats ne permet, hélas, pas de répondre aux arguments qui nous ont été objectés. A cette occasion, notre point de vue a été tellement ignoré, caricaturé voire méprisé que certaines réponses sont devenues de purs mensonges.
Aussi je souhaite porter à votre connaissance quelques uns des éléments scientifiques récents sur les conséquences de ce type de construction, qui portent sur la cohérence vis-à-vis du SDRIF en matière de rééquilibrage des territoires, l’impact sur les transports, la création ou non d’emplois, les conséquences sur l’immobilier de bureau, le lien entre densité et forme architecturale et enfin les conséquences énergétiques et le respect ou non du plan climat. Ce mail est un peu long et je m’en excuse.
Je me tiens évidemment à la disposition de qui le souhaite pour échanger sur le fond dès lors que les arguments reposent sur des études ou rapports qui peuvent être consultés par quiconque le souhaite.
Je profite de ce mail pour vous souhaiter une excellente année 2010 pour vous et celles et ceux qui vous sont chers.
Yves Contassot
Les analyses ci-après reposent sur trois documents : une note de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la région Ile de France (IAU), la SEMAPA, le bureau d’études techniques ENERTECH.
Vous pourrez évidemment lire en détail avec profit ces documents dont j’ai extrait les principaux éléments ci-après.
1 – Le non respect des objectifs du SDRIF et l’impact sur l’emploi, les transports,
Tout d’abord vous lirez sans doute avec le même intérêt que moi la « Note rapide » de l’IAU intitulée « Construction de bureaux : proche du métro, loin de l’objectif polycentrique ». La note complète est disponible à l’adresse suivante.
Dans cette note l’IAU analyse la politique de constructions de bureaux en cours et à venir dans la région.
La note commence par un constat accablant : » le marché des bureaux se retrouve en situation de suroffre, comme en 1974 et 1991″. L’auteur poursuit « le marché est en train de basculer sous le poids des opérations actuellement en chantier ».
A propos des 5000 emplois susceptibles d’y être créés, la note de l’IAU est sans appel : « les emplois attendus ici et là se traduiront par autant de pertes ailleurs ». Mensonge donc que de parler de création d’emplois.
Un autre argument consiste à prétendre que les entreprises qui s’installeront dans ces nouveaux immeubles de bureaux en périphérie de Paris, laisseront ainsi des immeubles potentiellement transformables en logements. Nouveau désaveu de l’IAU : « la plupart des entreprises en partance délaissent des immeubles édifiés dans les années 1980. Cette génération de bureaux, aux piètres performances énergétiques et aux standards de conception dépassés, avait disqualifié, en son temps, les constructions ». La note poursuit son travail de démantèlement des affirmations erronées ou mensongères en expliquant qu’on assiste plutôt à un « effet de ressac (qui) jouera en faveur du centre, où les valeurs de marchés justifient le coût des travaux ».
Enfin la note évoque l’impact sur les transports de ces implantations « arrimées aux extrémités du métro » : « ces dynamiques vont conduire à une massification des emplois aux portes de Paris… et entraîneront des croissances de trafics sur des tronçons déjà proches de la saturation ».
La conclusion est sans appel : il faut cesser de construire encore et toujours plus de bureaux là où il y en a déjà beaucoup et rééquilibrer les implantations sur la base d’un polycentrisme bien conçu.
2 – La densité et la forme architecturale.
Au cours de nos débats, combien de fois avons-nous entendu que la ville durable devait être une ville dense et que la forme architecturale des tours permettait de contribuer efficacement à cette recherche de maximisation de la densité.
Lors des ateliers participatifs du projet Masséna Bruneseau, la Ville de Paris et la SEMAPA ont produit une fiche technique sur la densité. Cette note est disponible à l’adresse suivante.
Elle est fort instructive surtout lorsqu’on la relie à la note de l’IAU car les deux sont complémentaires.
Tout d’abord la note rappelle les notions élémentaires de densité pour souligner qu’il n’y a pas de forme urbaine qui lie densité et hauteur. Poursuivant la démonstration, elle met en évidence que la densité réelle et la densité vécue sont deux notions qu’on ne peut confondre et que ce qui compte c’est le bien être des personnes. Or sur ce point, la mixité des fonctions prime toute autre considération. Une tour de bureaux ne saurait donc créer un sentiment de bien être à elle seule, pas plus qu’elle ne contribue à créer de la densité.
De plus la note rappelle des évidences pour toute personne qui connait un tant soit peu Paris : « ces trois formes urbaines distinctes (tour isolée, maisons en bande, petits collectifs) présentent une même densité résidentielle (nombre logement/hectare). Les formes présentées correspondent à des modèles non parisiens, qu’il s’agisse de la tour isolée ou de la maison en bande ».
La note se termine par un paragraphe tout à fait bienvenu sur la notion de ville durable : « La ville dense qui associe logements, équipements, activités et emplois contribue à la réduction des déplacements et donc à la réduction de la consommation énergétique. La mixité fonctionnelle à l’échelle du quartier (associer logements, activités, emplois …) revêt deux dimensions essentielles :
- – la réduction du trafic et ses corollaires (augmentation de la qualité de vie par la réduction des temps de trajets, amélioration de la qualité de l’air et réduction de l’impact sur le climat, réduction de l’impact économique) ;
- – la création d’un site urbain vivant et actif, de jour comme de nuit. Il est admis qu’une réduction de la demande énergétique globale d’une ville ne peut être atteinte qu’avec une baisse simultanée de la demande énergétique des bâtiments et de celle du trafic ».
La conclusion est forte : une tour isolée comme le projet Triangle serait contradictoire avec le paysage parisien, la notion de ville dense, celle de ville durable.
3 – Les tours modernes pourraient être faiblement consommatrices en énergie.
Dans nos interventions nous nous appuyons sur les rapports publiés par les meilleurs bureaux d’études technique ayant analysé la consommation des bâtiments et notamment de ceux de grande hauteur.
Le dernier document de référence est celui publié par Olivier Sidler du Bureau d’études Enertech, disponible à l’adresse suivante.
Dans ce document, O. Sidler analyse la consommation des tours en général et plus particulièrement celle de la Poste de Bonn (Post Tower) considérée comme la plus écologique de toutes les tours construites au cours de ces dernières années.
La note repose non pas sur des extrapolations ou suppositions mais sur une campagne de mesures réalisées par le bureau d’études qui a conçu la tour dans une approche particulièrement économe au plan énergétique. Les résultats sont éloquents. Le plan climat Parisien prévoit une valeur de 50kWh/m²/an (exprimée en énergie primaire) pour le chauffage, le rafraîchissement, l’eau chaude sanitaire, l’éclairage et les auxiliaires de chauffage et de ventilation. Or dans la Post Tower, tour verte la plus performante du monde aujourd’hui, la consommation atteinte pour ces seuls usages est de près de 228 kWh/m²/an d’énergie primaire. C’est à dire 4,5 fois trop…
O. Sidler rappelle que la Loi Grenelle prévoit qu’à compter de 2012 tous les bâtiments neufs ne pourront pas dépasser 50 kWh/m²/an et qu’à partir de 2020 ils devront même être à énergie positive.
La note examine donc les pistes qui pourraient être suivies pour arriver au minimum à respecter les 50 kWh/m²/an dans une tour. Même en utilisant les meilleures techniques, il semble impossible d’arriver à une consommation inférieure à 105 kWh/m²shon/an d’énergie primaire.
Cet article a été adressé à sa demande à la Directrice de l’urbanisme il y a déjà plusieurs mois mais évidemment il n’y a jamais eu le moindre élément pour y répondre ou la remettre en cause de la part de ses services.
L’article d’Olivier Sidler a suscité une réaction des ingénieurs qui ont conçu et réalisé la tour de la poste de Bonn : http://www.lemoniteur.fr/195-batiment/article/point-de-vue/693573-vers-des-tours-a-haute-efficacite-energetique .
Ce qui est intéressant, même si c’est un peu technique, c’est que les auteurs ne contredisent pas O. Sidler. Ils argumentent seulement sur le fait que les règles de conversion de l’énergie finale et de l’énergie primaire ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. Or O. Sidler avait pris soin de le souligner lui-même dans son étude.
La conclusion s’impose : malgré les efforts importants que l’on pourrait faire, on voit que l’objectif qui sera imposé par le Grenelle de l’Environnement en 2012 à toutes les constructions neuves n’est guère compatible avec une tour.
La notion de tour écolo n’existe donc pas.
Il faut donc se résoudre à choisir entre le respect du plan climat et la construction de tours.