Aller à Belfast provoque un choc que je ne pouvais imaginer bien que j’ai suivi la question de l’Irlande du Nord depuis des années.
Y aller, qui plus est, pour y rencontrer des responsables de l’aménagement du territoire et des responsables politiques permettait de comprendre le passé et d’ouvrir une page positive sur l’avenir.
Pourtant il faut se rendre à l’évidence. Malgré les accords de paix récents et la crise financière et économique qui touche durement une grande partie de la population, les clivages anciens restent déterminants.
Ce qui frappe en arrivant à Belfast c’est tout d’abord le contraste avec Dublin. L’Irlande a tout misé pendant des années sur le développement inconsidéré de l’immobilier et du secteur financier, mettant en avant le dumping fiscal comme avantage concurrentiel. Pendant la « décennie du tigre irlandais » cela semblait réussir et Dublin n’était qu’un vaste chantier les constructions les plus invraisemblables poussant comme des champignons à l’automne.
Las, le retournement fut d’autant plus rude et la ville est désormais hérissée de bâtiments dont la construction est stoppée et qui ne semblent pas devoir être achevés avant fort longtemps.
Belfast ne semble pas avoir connu cette folle fuite en avant et la ville semble plutôt marquée par les crises antérieures et notamment celles des chantiers navals, fers de lance de l’activité pendant des années et aujourd’hui réduits à néant ou presque. De fait Belfast semble s’être arrêtée il y a déjà longtemps et la ville m’a fait penser aux villes touchées par le drame de la sidérurgie plutôt qu’à une capitale en essor.
La pauvreté suinte de nombreux quartiers, les délaissés sont légions, les équipements publics paraissent subir le manque cruel de moyens. Il y a évidemment un petit quartier central animé et qui peut faire illusion mais qui ne masque pas les autres réalités, sociales, urbaines, politiques.
Le choc le plus rude fut incontestablement la visite des quartiers populaires. La connaissance théorique des « frontières » intercommunautaires ne peut donner une image de la réalité. J’avais connu le mur de Berlin, j’ai vu les images du mur de Jérusalem, mais je n’imaginais pas qu’aujourd’hui encore il puisse se construire des murs au coeur de Belfast.
En voyant ces murs, ces entrées dans les quartiers qui peuvent être fermées en cas de tensions intercommunautaires, en regardant les murs peints à la gloire des « soldats » de chaque camp, je ne pouvais m’empêcher de penser à des situations déjà vécues ou connues. Je me souviens d’un voyage à Berlin en 1974, du mur évidemment, du passage en métro de l’ouest à l’est avec les Vopos surarmés dans les couloirs et stations, des statues à la gloire des meilleurs ouvriers à l’est, de l’étalage du luxe provocateur à l’ouest, et surtout du climat de tension qui suaintait dans toute la ville. J’ai ressenti la même chose à Belfast et j’ai eu honte de l’Europe qui admet ce mur en son sein plus de 20 ans après la chute du mur de Berlin.
Jai évidemment aussi pensé à ces murs qui se construisent ici et là : à Jérusalem bien sûr, mais aussi à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, ou de façon moins visible entre communautés francophones et néerlandophone en Belgique, entre l’Italie du Nord et celle du sud, en Hollande, etc.
Comment peut-on à ce point n’avoir rien compris de l’histoire. Comment peut-on s’enfermer en croyant enfermer les autres ? Comment ne pas comprendre que les murs, visibles ou non, ne peuvent que générer la haine, l’esprit de revanche et de vengeance, le refus de l’autre comme image de soi ?
J’ai aussi compris ce que pouvait ressentir tous les relégués francilens, tous ces gens qui vivent en banlieue, sans moyen de transports, sans habitat digne de ce nom, sans urbanisme le plus élémentaires, sans services publics, sans équipements de proximité, sans travail, etc.
Certes il ne s’agit que de murs invisibles, mais au combien résistants et qu’il sera particulièrement difficile d’abattre tant il y a des peurs et des incompréhensions.
Je suis frappé de voir des responsables politiques n’avoir toujours pas compris qu’on ne peut vivre heureux et tranquille d’un côté d’un mur tant que celles et ceux qui sont de l’autre côté n’ont que l’envie de franchir le mur.
A l’heure du Grand Paris, ils sont nombreux à préférer régner sur leur petit territoire de façon égoïste, plutôt qu’à prôner la solidarité, générant ainsi des frustrations de plus en plus vives qui ne pourront se régler que d’une façon démocratique ou dans la violence. Les « politiques », ici comme à Belfast, portent une lourde responsabilité. Ils doivent choisir entre le repli frileux ou le partage, entre le passé entretenu par démagogie ou l’avenir solidaire.
Les situations sont explosives un peu partout, il est donc urgent de prendre des décisions et d’agir.