Lors de la séance du Conseil de Paris du 16 décembre, nous avons eu la surprise de découvrir une proposition du PS de confier le site du Polo de Bagatelle à l’association qui s’y trouve depuis 1892 avec des conditions qui défient l’entendement.
Nous seulement la durée de la concession est portée à 20 ans au lieu de 15 actuellement mais en plus l’association paiera encore moins qu’aujourd’hui.
Voici l’intervention que j’ai faite au nom des éluEs du groupe écologiste de Paris :
Madame la Maire,
Rencontrer des princes et des princesses, des ducs et des duchesses, des comtes et des comtesses, les grands patrons du CAC 40 s’ils ont réussi les tests d’entrée, quelques héritiers des grandes familles, tout cela est possible grâce à la ville de Paris et sa générosité.
Comment ? C’est simple. Il suffit de disposer de 15 000€ pour acquitter les droits d’entrée, de payer chaque année 900 € pour un sport ou 1800 € pour deux sports, d’être parrainé par deux aristocrates.
Ensuite il faudra surtout réussir un examen d’entrée particulièrement difficile au cours duquel on verra si votre éducation est suffisamment solide, votre tenue vestimentaire irréprochable, votre savoir vivre digne d’une monarchie, votre renommée indiscutable, bref si vous êtes dignes d’intégrer ce cercle très restreint du Polo de Paris.
Si vous réussissez vous rentrerez dans ce ghetto du gotha comme l’appellent les sociologues Michel et Monique Pinçon Charlot.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui c’est de garantir à ce ghetto une prorogation dans le temps des barrières érigées pour se protéger de la plèbe, voire de la bourgeoisie qui n’a pas la noblesse dans le sang ou le porte monnaie à la hauteur.
Oui, garantie donnée sans aucune contrepartie, voire même garanties accentuées et redevance minorée.
Vous proposez d’allonger la durée de la concession de 15 à 20 ans. Vous ne changez pas le montant de la redevance qui reste fixée à 15% et vous prétendez ajouter une modeste redevance à hauteur de 4% sur les recettes du restaurant.
Mais si on regarde la convention de 1999, le pourcentage était de 15% sur la totalité du chiffre d’affaires, restaurant compris. Soit la redevance n’a pas été versée comme elle aurait du l’être, soit c’est une baisse de la redevance que vous nous proposez, la partie du restaurant passant de 15 à 4%.
En fait c’est une absence de paiement pour le restaurant qu’on peut constater au vu des données financières minimales qui figurent dans le dossier qui a été communiqué à notre assemblée.
Première question : pourquoi n’avoir pas exigé le paiement de la redevance tel que prévu à la convention de 1999 ?
J’ajoute encore que la totalité de la redevance devait être payée dès le moi de mai de l’année suivante et que maintenant vous reportez l’échéance au 1er juillet. Cadeau de trésorerie supplémentaire pour ces pauvres membres du Polo.
Deuxième question : qu’est-ce qui justifie un report de l’échéance de paiement de la redevance ?
Vous prétendez que la redevance va augmenter de 70% ! Curieuse façon de compter. En 2015 la redevance atteindrait 1,4M€ contre 1 212 463M€ en 2013. Soit une augmentation réelle de 15,5%.
Vous affirmez que le montant de cette redevance sera indexé sur un indice particulièrement dynamique, l’indice des loyers commerciaux. Fort bien. Quelle a été l’évolution de cet indice au cours des deux derniers trimestres ? Une baisse de 0,03% puis une stagnation à 0%. Quel dynamisme !
Troisième question : Pourquoi avoir choisi un indice aussi volatil et qui ne donne aucune garantie d’évolution positive de la redevance ?
Vous annoncez que la moyenne de la redevance sera de 1,7M€ par an au cours des 20 longues années de la concession. Cela repose sur une évolution du chiffre d’affaires du club qui augmenterait de plus de 75% sur cette période. On ne peut qu’être surpris puisque le Polo annonce lui-même qu’il est malheureusement contraint d’aller chercher de nouveaux membres en Belgique, en Suisse, en Angleterre pour financer ses activités. Rien à voir évidemment avec un quelconque lien avec des réfugiés fiscaux.
Quatrième question : quels sont les éléments précis qui vous font croire à une telle évolution du chiffre d’affaires du Polo ?
Vous soulignez l’ouverture exceptionnelle aux jeunes. Quelle ouverture fabuleuse : environ 50 enfants accueillis en 2013 ! Vous avez choisi la CODP qui laisse entière liberté au bénéficiaire de la convention de choisir ce qu’il fait ou ne fait pas en vis-à-vis des enfants des écoles.
Cinquième question : pourquoi avoir choisi le modèle de la CODP qui ne donne aucune possibilité à la ville d’intervenir dans la gestion du site ?
La ségrégation sociale que cette classe parvient à opérer, le racisme de classe qui la conduit à écarter tous ceux qui n’en sont pas, à les tenir à distance de ses lieux de prédilection, révèle la formidable violence symbolique qu’elle parvient à exercer, avec d’autant plus de force qu’elle a le droit et l’État – le sien – pour elle.
Sixième question : elle est posée par Stéphane Olivesi qui a publié une note de lecture de l’ouvrage des Pinçot Charlot
Le racisme mondain qui caractérise l’entre- soi bourgeois n’est-il pas l’expression de toutes formes de rejet des classes que l’on qualifiait naguère de dangereuses, de laborieuses ou de populaires et qui, de fait, n’ont d’autres ressources que de subir la violence symbolique de la domination ou de s’y opposer par une violence fruste qui les enserre davantage encore dans leur statut de catégories inférieures ?
En conclusion je veux rappeler que nous avons déposé un vœu qui permettra de réfléchir un peu plus sérieusement et démocratiquement à l’avenir de ce site : allonger d’une année la convention actuelle, ce qui ne pose aucune difficulté réelle, et profiter de ce délai pour que la commission spéciale que nous avons actée lors de notre précédente séance puisse délibérer tranquillement et en toute transparence.
Refuser une telle proposition serait à n’en pas douter ajouter la Ville de Paris à la liste des soutiens au Gotha.
Nous ne doutons pas que telle n’est pas la volonté de la Maire de Paris et que vous accepterez donc notre proposition.
Stéphane Olivesi, « Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Les ghettos du Gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces », Questions de communication [En ligne], 14 | 2008, mis en ligne le 21 mars 2012, consulté le 15 décembre 2014. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/1649