Napoléon, plus Vert que Chirac

fance soirPoint de vue paru dans France Soir du 14 avril 2005
en collaboration avec Helder De Oliveira

Chirac serait-il moins favorable à la protection de l’environnement que ne l’était Napoléon à la sortie de son code civil, il y a deux cent ans ? C’est la question qui vient à l’esprit en lisant l’article 4 de la charte votée par le Parlement et présentée comme une sacralisation constitutionnelle d’une troisième génération de droits, ceux de la préservation de l’environnement.

Cet article évoque implicitement le principe pollueur-payeur pour le vider de l’essentiel de sa substance et revenir même sur l’un des piliers de notre droit civil.

Le principe pollueur-payeur est aujourd’hui un principe de responsabilité : celui qui est l’auteur d’une pollution doit en supporter les conséquences, traduites en terme de coûts. Réclamer l’application de ce principe revient à constater que, trop souvent, les responsables d’une pollution n’assument pas les conséquences de leurs actes. Au bilan de l’entreprise, certains coûts sont en effet assez imprécis, assez diffus, pour ne pas avoir été imputés à la charge de la société. On est ainsi en présence de bénéfices indus résultant de la non prise en compte des dommages causés à l’environnement.

L’application de ce principe a, du point de vue écologiste, deux intérêts majeurs. Elle fait d’une part peser une charge financière, parfois rédhibitoire, sur des pratiques néfastes pour l’environnement. Sans cette charge, ces pratiques sont en quelque sorte subventionnées par l’environnement et les générations futures. Le principe pollueur-payeur permet d’autre part de financer les mesures de prévention et de réparation des pollutions qui sans cela reposeraient sur la collectivité publique.

Or, précisément, la rédaction de l’article 4, loin des objectifs posés par les textes internationaux, notamment le traité de l’Union Européenne, et la Loi française, exonère les pollueurs de l’essentiel de leur responsabilité. On y lit en effet: « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement ». Le texte se place ainsi d’amblé en retrait par rapport au premier article de l’actuel code de l’environnement qui fait entièrement supporter sur les pollueurs « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci ». Dans la charte, les pollueurs sont ainsi constitutionnellement dispensés des charges visant à éviter en amont les dommages environnementaux.

Bien que considérant l’environnement comme sujet de droit, l’article 4 de la charte revient encore plus loin en arrière. Il établit littéralement un principe d’exonération des pollueurs pour la réparation des dommages qu’ils ont causés à l’environnement. Là ou notre code civil pose un des principaux fondements du droit moderne, celui de l’obligation de réparer un dommage que l’on cause, la charte se contente d’une obligation de « contribuer » à la réparation du dommage environnemental ! La charte confie ensuite à la Loi le soin de fixer la hauteur de cette contribution. Cette part peut ainsi, dans le respect de la Constitution, être réduite à quelques pourcents, comme on le voit actuellement, par exemple, dans le système international de réparation des dégâts des marées noires.

Si on rapproche ce principe de double exonération des pollueurs du « droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé » invoqué à l’article premier de la charte, on comprend la logique sous-jacente de l’ensemble. Chacun a droit à un environnement sain mais les pollueurs sont exonérés de l’essentiel de leurs obligations, il reviendra donc à un troisième intervenant, la collectivité publique, d’assurer le financement des mesures nécessaires pour préserver l’environnement. C’est ce qu’on peut appeler le principe de « l’Etat payeur ». Mais cela concerne en réalité l’ensemble des collectivités publiques, notamment les pouvoirs locaux. On le voit par exemple dans le domaine des emballages jetables : les mairies doivent prendre en charge de plus en plus de déchets non recyclables, souvent toxiques, en lieu et place des industriels qui les ont mis en circulation.

Alors que la maison brûle, Jacques Chirac refuse de regarder vers les pyromanes et émet un signal clair en direction des responsables de la catastrophe sanitaire rampante que nous vivons déjà. De par la Constitution Française, ils n’auront pas à financer la lutte contre la pollution qu’il causent, ils n’auront pas à en réparer les dommages.

Les maires ne veulent plus payer pour les emballages jetables

tribune frPoint de vue paru dans La Tribune du 6 mai 2004

Alors que le parlement est saisi de la loi de décentralisation, le fossé se creuse entre les collectivités territoriales chargées de la gestion des déchets ménagers et les industriels qui mettent les emballages sur le marché

Le 9 avril, la commission consultative d’agrément pour les déchets d’emballages ménagers s’est réunie au ministère de l’écologie. A l’unanimité, les représentants des collectivités territoriales ont rejeté les propositions de renouvellement de l’agrément des deux sociétés Éco-emballages et Adelphe. Ces sociétés appartiennent aux producteurs et sociétés utilisatrices d’emballages ménagers et gèrent le système de financement, le « point vert », censé assurer l’élimination de ces d’emballages. Leurs propositions pour les cinq prochaines années ont, en effet, été jugées inacceptables.

Le congrès des maires de France, en novembre, avait déjà donné l’alerte. Il s’était prononcé à l’unanimité pour que le dispositif de financement couvre, à terme, l’intégralité des dépenses de collecte et de traitement des emballages ménagers aujourd’hui financées par les communes. Les Maires de France renvoyaient ainsi les industriels à leurs responsabilités de producteurs qui mettent sur le marché des biens jetables et trop souvent non recyclables, dont les collectivités doivent ensuite prendre en charge les déchets. Les collectivités sont démunies face la logique purement financière des sociétés agréées, qui imposent des  » prescriptions techniques minimales « , permettant de refuser le recyclage de nombreux déchets alors que les coûts explosent.

Au-delà du financement, le dispositif est totalement contraire aux objectifs du développement durable. L’utilisation d’emballages toujours aussi jetables et, dans la majorité des cas, non recyclables, n’est jamais remise en cause. Les emballages jetables sont chaque année plus nombreux et composés de matériaux plus complexes, sans que les sociétés agréées et les pouvoirs publics ne prennent des mesures sérieuses pour la promotion d’emballages durables.

Pourtant, le Président de la République lui même, à Johannesburg, appelait à la  » révolution de nos modes de production et de consommation « , notamment à travers  » des systèmes économes en ressources naturelles, économes en déchets, économes en pollutions « . Dans les faits, le gouvernement favorise un système de gestion des déchets d’emballages en complète contradiction avec ces objectifs.

Enfin, l’agrément proposé va pérenniser la tromperie des consommateurs à travers le fameux  » point vert « . Ce symbole, présent sur presque tous les emballages, laisse croire que ces derniers sont recyclables. Il s’agit, en fait, de signaler aux pouvoirs publics que l’industriel s’est acquitté de sa contribution financière relative aux emballages. Jamais, le point vert, n’indique qu’un emballage peut être trié par le consommateur.

Là encore, il s’agit d’un détournement. Ce qui devait être un outil citoyen, permettant à chacun de participer à une gestion durable des déchets, est en fait un logo marketing à la signification confuse mais globalement valorisante car renvoyant aux valeurs écologistes.

La gestion durable des emballages est aujourd’hui une nécessité. Cela passera bien entendu par l’application pleine et entière du principe pollueur-payeur, mais aussi par la suppression des sociétés agréées, actuellement juges et parties. Elles seraient avantageusement remplacées par une agence publique, indépendante des producteurs, chargée d’une gestion durable des déchets, c’est à dire d’abord de leur réduction à la source. Un dispositif rénové devrait s’appuyer sur une politique de communication ambitieuse et cohérente avec en clé de voûte un point vert uniquement utilisé sur les emballages pouvant effectivement être triés et recyclés.

Il est cependant probable que ces objectifs élémentaires ne soient pas atteignables dans le contexte politique actuel. Le projet de charte de l’environnement prévoit en effet un véritable droit à polluer grâce à son article 4 qui réduit les obligations des pollueurs à une simple  » contribution  » à la  » réparation  » des dégâts qu’ils engendrent. Ce n’est là que la généralisation, dans les principes, du dispositif français du point vert dont les collectivités, l’environnement et les consommateurs sont les victimes.