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Tour Triangle : le début de la fin d’un mauvais projet

Lors du Conseil de Paris des 17, 18 et 19 novembre 2014, une majorité d’élu a voté contre l’autorisation que demandait la Maire de Paris de signer un bail à construction avec Unibail pour construire la tour Triangle.

Malgré les discours prononcés ici ou là depuis, il semble de plus en plus probable qu’il sera très difficile sinon impossible que ce mauvais projet voir le jour et cela doit réjouir les amoureux de Paris et tous ceux qui pensent que l’avenir d’une ville passe par une conception écologique de son développement.

Voici l’intervention que j’ai faite lors de cette séance :

Madame la Maire,

Si Paris ne s’est pas faite en un jour, Paris peut se défaire en un jour. Car comme tout joyau Paris est sensible, délicat, fragile. Sa réputation de plus belle ville du monde la doit à nos prédécesseurs qui ont su éviter pour l’essentiel les massacres urbains et paysagers qui ont défiguré tant de villes.

Nous avons donc aujourd’hui la responsabilité individuelle et collective de poursuivre dans cette voie, de concevoir une ville pour nos concitoyens actuels et pour les générations futures à qui nous devons des comptes par avance.

L’urbanisme que nous devons choisir doit donc ne pas céder aux effets de mode qui par nature sont éphémères, qui vieillissent mal et enlaidissent finalement. Concevoir la ville de demain dès aujourd’hui c’est anticiper intelligemment ce qui fera s’enorgueillir les futurs habitants de notre ville et au-delà de la Métropole.

La dimension métropolitaine de notre urbanisme est en effet essentielle car il n’est plus possible d’imaginer Paris enserrée dans son périphérique et indifférent aux territoires qui l’entourent. Il n’est de ville durable que la ville solidaire, il n’est de ville agréable que la ville qui se souci du bien-être de ses voisins,  il n’est de ville moderne que la ville qui pense le futur collectivement.

La ville pour qui, la ville avec qui, voilà ce qui fonde notre conception de la ville écologique. C’est l’inverse de la ville égoïste, de la ville futile, de la ville de l’immédiat, de la ville des intérêts privés.

Depuis que votre prédécesseur a évoqué l’idée d’autoriser Unibail à construire une tour sur le site du parc des expositions, les élus écologistes du Conseil de Paris ont fait connaître leur désaccord avec ce projet.

Ce désaccord repose sur de nombreux éléments que je veux rappeler de façon synthétique.

Le premier concerne le projet lui-même.

Construire un ensemble de 90 000m² de bureaux à cet endroit ne répond à aucun besoin sérieux et réel. Outre qu’il est déjà prévu 90 000m² de bureaux à quelques centaines de mètres autour du pentagone, l’observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en  Il e de France vient de rappeler qu’à ce jour la vacance représente 3,3 millions de m² de bureaux dont 78% de première main !

Une étude de l’IAU a également souligné les risques de bulle sur les bureaux vu les trop nombreux projets en cours de réalisation.

Lors de l’enquête publique la question de l’intérêt général avait d’ailleurs été pointée du doigt.

Construire 90 000 m² de bureaux supplémentaires à Paris, c’est empêcher le rééquilibrage des territoires, Paris poursuivant sa volonté de capter les emplois au détriment de son environnement. Nous ne voulons pas que Paris vole les emplois de la banlieue.

Mauvais projet également par l’impact sur l’environnement. Accroître la fréquentation des transports en commun de près de 5 000 personnes ne semble pas du tout raisonnable quand on voit la saturation actuelle du tramway et ce qu’il en est les jours de salons pour le métro. Là encore l’enquête publique avait souligné ce point. En dix ans, selon les agences d’urbanisme, 100 000 salariés supplémentaires viennent tous les matins travailler à Paris sans pouvoir s’y loger et on en est maintenant à 1 million de ces voyageurs contraints et mal transportés car on ne pourra pas éternellement construire des moyens de transports supplémentaires si on ne rééquilibre pas la localisation des emplois et des logements.

Mauvais projet enfin car d’un point de départ prévoyant une mixité des fonctions dans le bâtiment on arrive à une seule occupation par des bureaux alors même que la plupart des réflexions sur la ville moderne et post carbone pose la question de la mixité fonctionnelle des bâtiments, mixité que votre adjoint chargé de l’urbanisme a rappelé avec force pour l’appel à projets innovants. Jacques Herzog prétend que son projet est réversible et pourrait accueillir des logements. Mais avec un prix de revient aussi élevé on sait bien que ce serait uniquement des logements de grand luxe, comme cela se constate dans toutes les tours dans le monde.

Et même pour des bureaux, un prix de construction de 6000€ le m² sera réservé à quelques groupes fortunés dont on ne sait que trop bien quel sort ils font à leurs salariés pour accroître leurs profits.

Bureaux de luxe pour entreprises haut de gamme, voilà le projet Triangle.

Faut-il rappeler la similitude avec une autre tour : la tour Montparnasse ? Quasiment la même hauteur, le même nombre de m², l’absence identique de logements, et surtout les mêmes arguments avancés de 1958 à 1969, avec là encore l’argument que c’était un grand architecte, que ce serait pour l’attractivité de Paris, que ce serait un geste architectural fort et audacieux, etc. Il est vrai que depuis l’eau a coulé sous les ponts et même votre prédécesseur s’est prononcé pour la démolition de la tour Montparnasse. Si par malheur Triangle devrait exister, nul doute qu’un de vos successeurs finira par demander sa destruction avec les mêmes arguments que pour la tour Montparnasse.

Evidemment je rappellerai notre désaccord profond, constant, argumenté contre l’élévation d’immeubles de grande hauteur dans le paysage parisien. Paris est une ville horizontale, marquée douloureusement par quelques bâtiments tels que cette tour Montparnasse qui défigurent la plus belle ville du monde. Tour classée par les lecteurs du site VirtualTourist.com en deuxième position des édifices les plus laids du monde, juste derrière l’hôtel de ville de Boston[12].

Paris attire des dizaines de millions de touristes qui ne viennent pas chercher le cornichon londonien de Foster, ni les gratte ciels new-yorkais mais qui apprécient l’harmonie de Paris, pourtant ville parmi les plus denses du monde.

Nous n’avons eu de cesse de rappeler également que construire en hauteur n’a jamais densifié la ville sauf à lui supprimer tous les espaces nécessaires de respiration, de supprimer toutes les règles du PLU sur les gabarits, de nier le droit des voisins de disposer du soleil et de la lumière.

D’ailleurs lorsqu’on regarde de près Paris, on est frappé de constater que l’arrondissement le plus dense est le 11ème avec plus de 42 000 habitants au km², arrondissement typiquement faubourien et haussmannien tandis que le 13ème et ses nombreuses tours n’arrive qu’à un peu plus que la moyenne parisienne.

Comme vous le voyez la question énergétique ne vient pas au premier plan de notre désaccord comme cela a trop souvent été prétendu.

Cependant il est vrai que les tours sont énergivores et nettement plus consommatrices d’énergie que les bâtiments conventionnels. Les contraintes inhérentes aux immeubles de grande hauteur en sont à l’origine et aucune tour construite, y compris les plus récentes, n’échappe à cette règle.

Refuser de construire une telle tour à cet emplacement c’est donc faire le pari du Paris moderne, celui qui se tourne résolument vers l’après-pétrole et laisse sans regret les symboles du passé au magasin des accessoires.

Le projet de tour Triangle vit ses derniers moments du moins nous l’espérons.

Pour autant nous ne souhaitons pas laisser en friche le terrain prévu pour sa construction.

Aussi nous vous demandons, madame la Maire, de lancer très rapidement un appel à projet réellement innovant sur ce site, en étroite concertation avec les riverains, car rien ne serait pire que d’avoir un nouveau projet inacceptable. Le programme global devra donc être acceptable pour que sa réalisation donne satisfaction à l’ensemble des parties prenantes. C’est le sens du vœu que nous présentons et dont nous pensons qu’il pourrait faire consensus si tout le monde passe par-dessus son ego au profit de l’intérêt collectif.

C’est ainsi que la ville future doit s’écrire, se co-concevoir, pour se vivre ensemble, aujourd’hui et demain.