Le maire de Paris, contre vents et marées et contre l’opinion majoritaire des Parisiennes et des Parisiens, veut à tout prix construire des tours dans Paris. Est-ce une simple volonté de « laisser sa trace » dans l’histoire ou y a-t-il des raisons objectives? Les arguments avancés oscillent entre recherche de modernité, volonté de densification, recherche d’audace architecturale, ou regain de la place de Paris dans la compétition internationale.
A l’examen de ces arguments, force est de constater qu’aucun ne résiste bien sérieusement.
Paris ne serait pas « moderne » sans tour ? Qui peut croire pareille ineptie ! La modernité d’une ville aujourd’hui ne tient pas aux symboles (et lesquels !) déployés en son cœur ou à ses bords mais bien plus à la capacité de changer en profondeur ses modes de gouvernance pour en faire une ville durable. Ayant signé en 2002 la charte d’Aalborg , Paris doit de toute urgence en appliquer les principes plutôt que de courir après les modèles du passé. Construire aujourd’hui nécessite de poser la question de la ville répondant à ses différentes fonctions (habitat, activités, éducation, santé, loisirs, cultures, commerces, etc.), mais surtout de garder à l’esprit qu’elles doivent d’abord permettre à toutes et tous d’y vivre et d’y travailler. Et ce sans exclure des catégories entières, sans générer de plus en plus de déplacements et de plus en plus longs, sans reporter à sa périphérie les catégories sociales les plus pauvres et les familles nombreuses, sans exporter chez les autres les fonctions de logistiques urbaines, sans tuer le petit commerce de proximité au profit des hypermarchés de banlieue, et encore sans se replier sur elle-même au détriment des communes voisines. De ce seul point de vue, la course-poursuite engagée entre les différentes communes franciliennes à celle qui obtiendra le plus de tours (Paris, Issy-les-Moulineaux, Charenton et bien sûr La Défense) montre à quel point l’égoïsme l’emporte toujours sur la solidarité, base même du développement durable et de l’intercommunalité. La logique demeure : à qui engrangera le maximum de taxe professionnelle. Cette attitude n’a rien de « moderne » ! Au contraire, elle stagne dans la stricte continuité des politiques menées depuis des décennies dans l’aménagement anarchique de la zone dense francilienne.
Les tours seraient une réponse à la taille réduite de Paris ? Outre que Paris est une des villes les plus denses du monde, les tours n’ont jamais permis une construction plus dense que celle produisant d’autres formes urbaines. Pierre Merlin dans une récente parution de la revue Urbanisme, revient sur ce que savent bien les urbanistes. Sauf à reproduire le modèle de certaines villes asiatiques, seule la forme de la ville est impactée par la construction de tours. Il n’y a pas un seul mètre carré supplémentaire construit. En effet, les autres règles d’urbanisme, le respect des prospects , du COS rendent illusoire toute densification. Seule une modification en profondeur du PLU de Paris récemment approuvé permettrait, en renonçant à ses fondamentaux et en reniant tous les engagements pris en la matière par ce document, à changer ces principes. Il serait d’ailleurs intéressant de comparer, par exemple, le projet d’aménagement de la ZAC des Batignolles (sans tour et pourtant très dense) avec un projet comportant des tours. On verrait rapidement la faillite du propos ! La volonté de construire des tours dans Paris intra-muros ne répond pas au manque d’ambition, elle s’inscrit dans une pensée étriquée de la ville conçue exclusivement sur elle-même, enfermée dans son périphérique.
Des tours pour de l’audace architecturale ? Paris est bien placée pour juger de l’ineptie d’un tel argument. Aujourd’hui personne de peut prétendre que la tour Montparnasse ou le secteur de la place d’Italie soient des modèles de réussite au plan architectural. C’est pourtant un Président de la République qui se gaussait de modernité qui a stoppé les constructions de tours à Paris voyant les erreurs s’accumuler les unes après les autres. Certes il existe quelques bâtiments de grande hauteur réussis mais pour combien d’échecs, architecturaux ou urbains ? Faut-il nécessairement viser le plus haut possible pour être audacieux ? Chaque jour de très nombreux architectes prouvent le contraire. Ils construisent ou réhabilitent avec tact, intelligence, talent, subtilité et audace des bâtiments durables à tous égards, aussi bien au plan énergétique qu’au plan patrimonial. Car il semble que cet aspect soit totalement ignoré de la plupart des promoteurs des tours. Nombreux parmi eux professent qu’il faut dorénavant construire pour quelques décennies tout au plus et ne surtout plus imaginer des constructions pérennes. Le profit est immédiat et tant pis pour demain ! Le patrimoine resterait ainsi figé à tout jamais. Soutenons au contraire qu’un des enjeux majeurs de l’architecte et de l’urbaniste consiste précisément à concevoir et réaliser aujourd’hui le patrimoine de demain.
Des tours pour maintenir Paris à sa place dans la compétition internationale ? A quoi juge-t-on qu’une ville figure parmi les premières dans la compétition internationale ? Selon les points de vue, cela peut concerner ses activités financières et boursières (Paris place financière …), ou bien le nombre de congrès organisés (Paris et Londres se disputent la première place), ou bien la fréquentation touristique (Paris est sans rivale dans le monde). Mais cela peut aussi concerner le bien-être à y vivre et à y travailler. Or curieusement ces derniers critères sont rarement cités. Pourtant, là, vraiment se dessinent des comportements nouveaux. De jeunes diplômés s’exilent à Londres pendant leurs premières années professionnelles car les salaires y sont plus élevés et la vie nocturne y serait plus intense. Mais dès la naissance des enfants, la plupart reviennent en France tant les systèmes de protection sociale et scolaire y sont meilleurs. Ce nomadisme rend caduques les vieilles classifications. Une ville peut être attractive à un moment ou pour une catégorie et faire fuir à un tournant de sa vie. Seules les villes réellement durables auront une chance demain d’attirer tout au long de leur vie les 80% d’urbains, habitants, acteurs économiques, étudiants…
Alors quelles sont les motivations réelles pour construire des tours à Paris ? Force est de constater que le discours varie fortement selon l’air du temps ! Après avoir mis en avant la possibilité de construire plus de logements sociaux, l’hypothèse semble maintenant abandonnée. La convergence est trop forte vers le rejet des modèles du passé. Il serait alors question d’ériger des tours de bureaux avec quelques logements de luxe dans les étages supérieurs ! Or le PLU prévoit déjà plus de 2 millions de m² de bureaux nouveaux (sans aucune tour…). Paris compte un taux d’emplois très supérieur à la plupart des communes franciliennes. Veut-on encore accroître cette inégalité ? Certes, Paris connaît le chômage, les autres communes encore plus. Ne serait-ce pas davantage dans les services à la personne que dans le tertiaire qu’il faudrait chercher un potentiel d’emplois correspondant aux besoins ? Faut-il ajouter que Paris est la capitale qui connaît le plus de bureaux au m², y compris plus que New York ! Quant à construire des logements de luxe, serait-ce la priorité d’une municipalité ou une provocation dans une ville qui compte plus de 100 000 familles en attente d’un logement social, qui voit chaque jour l’exclusion sociale s’étendre et le nombre de tentes s’accroître dans ses rues ? Est-ce bien la responsabilité de la puissance publique de favoriser la construction de logements haut de gamme alors qu’il est si difficile de dégager du foncier pour du logement social ? Enfin, le dernier argument avancé touche à l’urbain : Il faudrait marquer les entrées de Paris par des tours, véritables signaux comme autrefois les colonnes du Trône de la Place de la Nation symbolisaient l’octroi ! Belle avancée à l’heure du débat sur le grand Pari
s et la nécessité unanimement reconnue de supprimer la frontière que constitue le périphérique. Où pourrait se trouver la cohérence, à défaut de friser l’insolence, à vouloir recréer une limite symbolique du périmètre de la Capitale sous forme de tours ?
Les brèves réponses apportées à ces quelques questions confirment qu’il n’y a rien de rationnel dans cette « obsession des tours » et que la tentation formelle ne correspond à aucun besoin réel.
Enfin on ne peut que s’étonner de l’entêtement tandis qu’a été voté, à l’unanimité le 1er octobre dernier, le plan climat parisien. Celui-ci prévoit une obligation de limiter la consommation des bâtiments neufs à 50Kwh par an et par m². A ce jour aucun projet de tour (et encore moins de réalisation) n’approche cet objectif. La plupart sont à 4 fois ce niveau. Alors, ce plan climat a-t-il été voté par certains élus parce qu’il prenait place à quelques jours du Grenelle de l’environnement ou était-ce sincère ?
Il faut en finir avec cette pratique archaïque des élus qui veulent marquer leur mandat par une réalisation architecturale monumentale (qui si possible portera un jour leur nom…).
La ville durable n’est pas ainsi. Paris mérite mieux que cela.
(2) éloignement des bâtiments les uns des autres en fonction de leur hauteur,
(3) qui limite la constructibilité en fonction de la surface du terrain
(4) nombre d’emplois par rapport au nombre d’habitants